2010-711 Décision

Représentant : Eric Marinacci, BSJP
Décision No : 100001493711
Type de décision : Comité de révision
Lieu de l'audition : Toronto (Ontario)
Date de la décision : le 5 mars 2010

Le comité de révision de l'admissibilité décide :

PENSION SUPPLÉMENTAIRE - ENFANT ATTEINT D'UNE INFIRMITÉ

Conformément à l'article 21 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la présente affaire est renvoyée au ministre pour réexamen et une décision.
article 21, Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

Devant:

Ellen Riley -- Membre présidant
John Morrison -- Membre rédacteur

Signé par:

Copie originale signée par:

______________________
John Morrison

INTRODUCTION

L'ancien combattant a 87 ans et a servi dans les forces actives du 13 janvier 1943 au 14 novembre 1945. Il a notamment servi outre-mer du 13 janvier au 12 avril 1944. Il a demandé la révision de la décision d'Anciens Combattants Canada (ACC), qui, le 16 mars 2009, a refusé de lui accorder une pension supplémentaire à l'égard de son fils atteint d'une infirmité, contrairement à l'alinéa 34(1)a) de la Loi sur les pensions.

QUESTIONS EN LITIGE

La première question en litige consiste à savoir si ACC avait la compétence de rendre la décision qui fait l'objet d'une révision devant le Tribunal.

Dans le cadre de son examen à la suite de l'audience, le Tribunal a trouvé, dans le dossier de l'Administration centrale du ministère, une trentaine de pages de documents additionnels se rapportant à une demande de pension supplémentaire présentée en 1997 par l'ancien combattant, en vertu de l'alinéa 34(1)a) de la Loi sur les pensions, pour son enfant adulte. Dans une décision ministérielle datée du 5 février 1998, ACC a rejeté la demande de 1997 au motif que l'infirmité du fils adulte n'avait pas été établie. Lorsque le ministère a rendu sa décision le 16 mars 2009 – la seule décision devant le Tribunal –, ACC ne semblait pas être au courant de la demande présentée en 1997, de la décision prise à cet égard et, par conséquent, de la question de compétence qui se pose maintenant.

La question de compétence qui est soulevée par la preuve au dossier et qu'il faut trancher consiste à savoir si ACC avait la compétence de rendre une décision de premier palier sur l'admissibilité de l'ancien combattant à une pension supplémentaire sous le régime de l'alinéa 34(1)a) à l'égard de son enfant adulte, compte tenu du fait qu'il a déjà tranché la question le 5 février 1998.

Si ACC avait la compétence de rendre la décision qui fait l'objet d'une révision, la question à trancher consiste à savoir si l'ancien combattant a présenté une preuve suffisamment crédible ou fiable pour établir que son fils adulte répond aux critères énoncés à l'article 34 de la Loi sur les pensions et qu'il a par conséquent droit à une pension à titre d'enfant atteint d'une infirmité.

Les sections pertinentes à l'article 34 de la Loi sur les pensions prévoient :

34. (1) Aucune pension n'est payée à un enfant, ou à son égard, après le dernier jour du mois où il a atteint l'âge de dix-huit ans, sauf dans les cas suivants :

(a) l'enfant est, pour cause d'infirmité physique ou mentale survenue avant l'âge de vingt et un ans, incapable de pourvoir à son propre entretien, auquel cas la pension peut être versée tant qu'il est incapable, pour cette raison, de gagner sa vie;

[...]

(3) Le ministre peut accorder la pension à tout enfant aux besoins duquel le membre des forces devrait subvenir, ou à l'égard de cet enfant.

ÉLÉMENTS DE PREUVE ET DISCUSSION

L'ancien combattant a témoigné à l'audience. L'avocat a présenté des documents additionnels en son nom, y compris un rapport daté du 3 mars 2010 (RE-K1) rédigé par le Dr Paul Goldhamer, psychiatre, qui traite le fils de l'ancien combattant depuis 1985.

Les faits en l'espèce découlent de la demande présentée le 25 février 2009 par l'ancien combattant âgé en vue d'obtenir une pension additionnelle sous le régime de l'article 34 de la Loi sur les pensions pour son enfant adulte qui habite à la maison et qui souffre de schizophrénie, ou à son égard. Dans sa demande datée du 25 février 2009, l'ancien combattant a indiqué que la maladie de son fils a été diagnostiquée lorsque celui-ci avait 28 ans. Il a également précisé que son fils a été extrêmement paranoïaque et schizophrène toute sa vie adulte, mais qu'il ne voulait pas recevoir de traitement. Dans une décision du ministre datée du 16 mars 2009, la demande de pension supplémentaire a été rejetée au motif que la maladie est survenue après l'âge de 21 ans.

Comme il a été mentionné précédemment, après l'audience, le Tribunal a découvert dans le dossier de l'Administration centrale du ministère d'autres preuves et renseignements pertinents, à savoir une trentaine de pages de documents liés à une demande présentée par l'ancien combattant en 1997 et se rapportant à la même question à l'égard de son enfant adulte aux termes de l'alinéa 34(1)a) de la Loi sur les pensions.

En résumé, la preuve de 1997 montre que l'enfant adulte a, pendant des périodes non déterminées, travaillé comme messager dans un cabinet d'avocats et pour une entreprise de livraison de la poste. Les documents de 1997 indiquent qu'il a dû cesser de travailler en raison du stress et qu'il recevait des prestations du gouvernement provincial, mais la question de savoir s'il s'agissait de prestations d'aide sociale ou de prestations d'invalidité n'est pas claire. Au moyen de ce revenu, il payait 125 $ par mois de loyer à son père et achetait sa nourriture et ses vêtements. Il disposait d'un permis de conduire et conduisait son père à ses rendez-vous.

ANALYSE/RAISONS

En analysant la preuve présentée en l'espèce, le Tribunal a tenu compte de l'article 5 de la Loi sur les pensions et de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui exigent que le Tribunal tire les conclusions les plus favorables possible au demandeur, qu'il accepte les éléments de preuve vraisemblables et qu'il tranche en la faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande. Le Tribunal sait aussi que ce principe n'enlève pas à l'ancien combattant le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits requis pour établir l'admissibilité à une pension : Wannamaker c. Canada (Procureur général) (2007), 361 N.R. 266 (C.A.F.1).

Le Tribunal est d'avis qu'ACC n'avait pas la compétence de rendre, le 16 mars 2009, une décision de premier palier dans cette affaire. Le ministère avait déjà rendu une décision de premier palier le 5 février 1998 pour trancher la question de l'admissibilité de l'ancien combattant à une pension supplémentaire sous le régime de l'article 34 de la Loi sur les pensions à l'égard de son enfant adulte. La décision du 16 mars 2009 est par conséquent nulle et sans effet.

Une fois qu'ACC a rendu une décision à l'égard de l'admissibilité du fils adulte à une pension supplémentaire sous le régime de l'article 34 de la Loi sur les pensions, le ministère est dessaisi ou dépourvu de compétence pour examiner à nouveau les questions qui ont été tranchées en 1998, sauf s'il invoque son pouvoir de réexaminer une décision prévu à l'article 82 de la Loi sur les pensions et qu'il effectue une révision ministérielle de la décision de 1998. Autrement dit, le ministère aurait pu réexaminer sa décision antérieure, mais il ne pouvait pas rendre une nouvelle décision de premier palier à l'égard de la même question et des mêmes faits.

Le Tribunal fait remarquer que, même si la preuve se rapportant à la décision de 1998 date d'il y a 12 ou 13 ans, elle est tout de même pertinente dans le contexte des questions soulevées par la demande et la décision de 2009 et, à certains égards, elle est beaucoup plus complète que la preuve qui a été présentée au Tribunal lors de l'audience du 5 mars 2010. L'équité exige que l'ancien combattant ait pleinement l'occasion d'y répondre.

Bref, la décision qui fait l'objet de la révision est nulle. La solution la plus équitable, dans les circonstances, est de renvoyer l'affaire à ACC, sous le régime de l'article 21 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) pour que la question tranchée par le ministère en 1997 soit réexaminée et réévaluée. Cette solution permettra également à l'ancien combattant de faire une preuve plus complète, ce qui assurera l'audition plus équitable et plus complète de l'affaire.

Par conséquent, le Tribunal ne tranchera pas la question de fond qui se rapporte à l'admissibilité de l'ancien combattant à une pension supplémentaire aux termes du paragraphe 34(1)a) de la Loi sur les pensions à l'égard de son enfant adulte. Le Tribunal aimerait toutefois formuler des commentaires sur les éléments nécessaires pour établir l'admissibilité à une pension supplémentaire pour un enfant adulte atteint d'une infirmité, aux termes de l'article 34 de la Loi sur les pensions, commentaires qui pourraient être utiles à l'ancien combattant.

Quatre exigences législatives doivent être remplies pour établir l'admissibilité à une pension supplémentaire pour un enfant de plus de 18 ans (c.-à-d. un enfant adulte), ou à son égard, sur le fondement de l'infirmité de l'enfant, aux termes de l'article 34 de la Loi sur les pensions. Les trois premiers critères de base sont énoncés à l'alinéa 34(1)a) et se rapportent à l'infirmité d'un enfant adulte et aux effets de cette infirmité sur sa capacité de pourvoir à son propre entretien. Le quatrième critère est énoncé au paragraphe 34(3) de la Loi sur les pensions et prévoit qu'une pension supplémentaire ne peut être payée sous le régime du paragraphe 34(1) qu'à un enfant adulte ou à l'égard d'un enfant adulte aux besoins duquel le membre ou l'ancien combattant des Forces canadiennes devrait subvenir.

Les quatre critères peuvent donc être résumés comme suit :

  1. l'enfant est incapable de pourvoir à son propre entretien;
  2. cette incapacité est causée par une infirmité survenue avant l'âge de 21 ans;
  3. l'infirmité rend l'enfant incapable de gagner sa vie;
  4. l'enfant est un enfant aux besoins duquel l'ancien combattant devrait subvenir.

Le premier critère de l'alinéa 34(1)a) se rapporte à la capacité de l'enfant de rester en vie et en santé en subvenant à ses besoins essentiels. Un enfant adulte est par conséquent incapable de pourvoir à son propre entretien aux termes du paragraphe 34(1)a) lorsqu'il est incapable de subvenir à ses besoins essentiels. Le demandeur doit donc présenter des éléments de preuve qui montrent une déficience ou une invalidité physique ou mentale importante chez l'enfant à l'égard duquel une demande de pension supplémentaire est demandée, car seul un adulte ayant une déficience découlant d'une invalidité importante serait incapable de subvenir de façon indépendante à ses propres besoins essentiels.

S'agissant de l'infirmité, le Tribunal exige habituellement une preuve médicale crédible sur le degré réel de la déficience physique ou psychiatrique causée par l'infirmité de l'enfant adulte. Lorsque l'infirmité est de nature psychiatrique, comme en l'espèce, il faut présenter des renseignements sur les symptômes courants et une évaluation de la déficience psychiatrique et du fonctionnement psychosocial de l'enfant adulte afin de permettre au Tribunal de prendre une décision éclairée sur la capacité de l'enfant adulte de pourvoir à son propre entretien.

Le deuxième critère de l'alinéa 34(1)a) se rapporte à l'âge de l'enfant au moment où l'infirmité est survenue. La demande doit présenter des faits, établis selon la prépondérance des probabilités, qui appuient la conclusion selon laquelle la maladie ou l'infirmité est survenue avant le 21e anniversaire de l'enfant. Dans des décisions antérieures, le Tribunal a conclu que la preuve d'une infirmité inactive ou latente avant l'âge de 21 ans n'est pas suffisante.

Le choix d'utiliser dans la loi le terme « infirmité » au lieu de « maladie » ou d'un autre terme pourrait laisser entendre que l'infirmité doit être manifeste, patente, ou visible, et active, plutôt que latente, avant l'âge de 21 ans. Autrement dit, le Tribunal s'attend à ce que des éléments de preuve soient présentés pour montrer que les symptômes et les effets de l'infirmité se sont manifestés et sont devenus actifs chez l'enfant adulte avant l'âge de 21 ans.

Pour que le Tribunal puisse prendre une décision éclairée, il serait utile de lui présenter un aperçu ou une chronologie des activités et des circonstances de l'enfant adulte pendant son adolescence et sa vingtaine, ainsi qu'une opinion médicale crédible au sujet de l'âge de l'enfant au moment de l'apparition de la maladie et fondée sur les faits particuliers de l'affaire, par exemple, la fréquentation d'un établissement d'enseignement, les antécédents professionnels et l'endroit où l'enfant a habité.

Le troisième critère de l'alinéa 34(1)a) se rapporte à la capacité de l'enfant adulte de gagner sa vie. L'infirmité de l'enfant adulte l'empêche-t-elle de gagner sa vie? Des renseignements sur les antécédents professionnels et la réception de prestations d'aide sociale, entre autres, de même que des renseignements se rapportant au premier critère susmentionné seraient utiles.

Le quatrième critère, énoncé au paragraphe 34(3), vise la question de savoir si l'enfant adulte est un enfant aux besoins duquel l'ancien combattant (le parent) devrait subvenir. Le paragraphe 34(3) prévoit qu'une pension additionnelle ne peut être accordée qu'à un enfant aux besoins duquel l'ancien combattant ou le membre des Forces canadiennes devrait subvenir. Autrement dit, l'ancien combattant a-t-il l'obligation légale de subvenir aux besoins de l'enfant? Encore une fois, ce critère est lié au premier critère.

L'exigence prévue au paragraphe 34(3) n'est pas expliquée dans la loi. Pour déterminer si cette exigence est remplie dans un cas donné, il faut examiner le cadre juridique élargi dans lequel s'inscrit la Loi sur les pensions. La question qui se pose alors est celle de savoir dans quelles circonstances la loi impose ou reconnaît l'obligation des parents de subvenir aux besoins de leurs enfants adultes. Lorsqu'un enfant atteint l'âge de la majorité ou l'âge adulte, c'est-à-dire 18 ans, ses parents ont l'obligation de pourvoir à son entretien dans deux situations, prévues à l'article 2 de la Loi sur le divorce. Il peut être ordonné à un parent de verser une ordonnance alimentaire au profit d'un enfant à ou pour un enfant âgé de plus de 18 ans si l'enfant adulte est à la charge de ses parents, sans pouvoir, pour cause notamment de maladie ou d'invalidité, cesser d'être à leur charge ou de subvenir à ses besoins.

Il n'est pas déraisonnable de conclure que les dispositions additionnelles de la Loi sur les pensions ont été conçues pour s'inscrire dans le cadre juridique élargi des obligations alimentaires au profit d'un enfant prévues par la common law et par la loi. Autrement dit, l'alinéa 34(1)a) et le paragraphe 34(3) de la Loi sur les pensions visent à intégrer à la question de savoir si une pension supplémentaire peut être accordée, en vertu de l'article 34 de la Loi sur les pensions, à un enfant adulte, ou à son égard, sur le fondement de son infirmité, les mêmes principes et facteurs relatifs au droit d'un enfant à l'entretien.

Chaque affaire dépend de ses propres faits, mais la question principale à laquelle il faut répondre pour appliquer l'alinéa 34(1)a) et le paragraphe 34(3) consiste à savoir si l'enfant adulte est à la charge de l'ancien combattant ou du membre des Forces canadiennes (le parent) parce que l'infirmité de l'enfant est d'une importance telle que l'enfant est incapable de subvenir à ses propres besoins et demeure à la charge de ses parents.

DÉCISION

Le Tribunal conclut que la décision prise le 16 mars 2009 par Anciens Combattants Canada est nulle et sans effet pour défaut de compétence.

En vertu de l'article 21 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le Tribunal renvoie l'affaire à Anciens Combattants Canada en vue du réexamen, conformément à l'article 82 de la Loi sur les pensions, des questions tranchées le 5 février 1998 et de tout renseignement additionnel présenté par l'ancien combattant au sujet des quatre exigences légales qui doivent être remplies pour que soit approuvée une demande de pension supplémentaire, en vertu de l'article 34 de la Loi sur les pensions, pour un enfant âgé de plus de 18 ans et atteint d'une infirmité.

DROITS D'APPEL

Si vous êtes insatisfait de la présente décision, vous pouvez en appeler à un comité d'appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) qui peut soit confirmer, modifier ou infirmer la décision.

Dans un tel cas, vous pouvez être représenté, sans frais, par le Bureau de services juridiques des pensions ou par le service social d'une organisation d'anciens combattants ou, à vos frais, par tout autre représentant.

Lois pertinentes :

Loi sur les pensions. [S.R.C. 1970, ch. P-7, art. 1; L.R.C. 1985, ch. P-6, art. 1.]

art. 2
alinéa 34(1)a)
art. 39

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). [S.C. 1987, ch. 25, art. 1; L.R.C. 1985, ch. 20 (3e suppl.), art. 1; L.C. 1994-95, ch. 18, art. 1; TR/95-108.]

art. 3
art. 25
art. 39

Pièces déposées en preuve :

  • RE-K1: Rapport du Dr Paul M. Goldhamer, psychiatre, daté du 3 mars 2010 (1 page) ;
  • RE-K2: Extrait du Merck Manual,18e édition, portant sur la schizophrénie (quatre pages non recto verso);
  • RE-K3: Déclaration par courriel datée du 4 mars 2010 (1 page).

1. Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991.