Discours du Thomas Jarmyn, Président par intérim, Tribunal des anciens combattants (révision et appel) – À l’occasion du Colloque du Conseil des tribunaux administratifs canadiens
Séance plénière A : « Qu’entend-on par excellence des tribunaux? »
Ottawa, ON – Le 29 mai 2016
Merci pour cette aimable présentation, Don.
C’est un réel plaisir pour moi de me trouver sur cette estrade aux côtés de nos estimés collègues américains et français, et de l’honorable Michel Bastarache avec son impressionnante expérience à titre de juge de la Cour suprême et ses vastes contributions dans le domaine du droit à l’égalité.
Leurs différents points de vue sur l’excellence des tribunaux sont inestimables – fondés sur des années d’expérience et de compétences juridiques dans l’administration de la justice pour les citoyens du monde.
Pendant quelques minutes, j’aimerais ajouter mon point de vue aux leurs en ma qualité de président par intérim d’un tribunal administratif fédéral ici au Canada.
Tout d’abord, je vais vous dresser un aperçu de la structure de la justice administrative au Canada : pourquoi elle existe, et plus particulièrement, quel rôle assume le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans ce contexte.
Ensuite, je vais vous expliquer comment nous définissons l’excellence au sein du Tribunal, comment nous tentons de l’évaluer, et de notre performance par rapport à nos mesures.
Et enfin, je terminerai avec quelques réflexions sur les défis et les opportunités qui se présentent pour la justice administrative et pour ceux d’entre nous qui y dédient leur vie.
Comme vous le savez, les tribunaux administratifs ont été établis au Canada par le Parlement afin de réduire le fardeau sur les tribunaux et d’améliorer l’accès des citoyens aux services de justice pour des différends concernant leurs droits légaux.
Ainsi, nous avons implicitement l’obligation, en notre qualité de tribunaux, d’offrir aux Canadiens des procédures rapides et informelles, des décideurs qualifiés et impartiaux, et des décisions équitables qui respectent la loi.
La quête et l’évaluation de l’excellence des tribunaux sont importantes – non seulement pour les administrateurs, mais également pour les nombreux citoyens touchés par les décisions des tribunaux.
Pour nous, au sein du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), les citoyens concernés sont des vétérans, des membres des Forces armées canadiennes et de la GRC, et leur famille.
Notre mandat consiste à leur offrir un processus de recours indépendant quant aux décisions prises par Anciens Combattants Canada en matière de prestations d’invalidité.
Le Tribunal a été établi par statut à titre de tribunal indépendant pour recevoir et traiter toutes les demandes de révision ou d’appel qui peuvent lui être soumises conformément à la Loi sur les pensions et à la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes.
Parallèlement aux pouvoirs qu’ils confèrent au Tribunal, nos statuts définissent le fardeau de la preuve pour les demandeurs, ainsi que les procédures pour nos membres qui entendent les cas et rendent des décisions.
Par exemple, ils nous disent comment les membres du Tribunal doivent évaluer les éléments de preuve et appréhender la prise de décision, avec des caractéristiques uniques.
Ils définissent également le nombre de membres qui décident des cas.
Lors de la révision, le premier niveau de recours du Tribunal, les cas sont examinés par des comités de deux membres. À ma connaissance, nous sommes le seul tribunal qui examine les dossiers avec un nombre pair de membres.
Pour autant que l’un d’entre eux arrive à la conclusion que le vétéran a établi son dossier, la décision est favorable.
Notre procédure pour les vétérans est également unique en ce sens qu’elle est non contradictoire, n’a pas de limites de temps et offre aux deux niveaux de recours des audiences de novo au cours desquelles de nouveaux éléments de preuve sont acceptés.
En outre, les vétérans sont représentés gratuitement par des avocats du Bureau de services juridiques des pensions, un organisme au sein du portefeuille d’Anciens Combattants.
Donc, à quoi ressemble l’excellence dans le contexte du Tribunal?
Afin de définir l’excellence, nous avons d’abord dû exprimer notre mission : ce que nous devons faire et comment nous allons le faire.
En termes simple, notre mission consiste à offrir des audiences rapides et respectueuses et à rendre des décisions justes et rédigées dans un langage clair aux demandeurs – afin de pouvoir remplir notre mandat qui prévoit de veiller à ce que les vétérans reçoivent toutes les prestations auxquelles ils ont droit en vertu de la loi.
Cette mission a été développée avec la contribution du personnel et des membres, ainsi que des intervenants, afin de veiller à ce qu’il reflète l’engagement du Tribunal et les attentes des vétérans.
En ma qualité de président par intérim, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer le lien entre cette mission et notre travail – afin que le personnel et les membres puissent être fiers de leurs contributions, comprennent leurs obligations, et sachent ce qui sera mesuré.
Une mission claire, un leadership solide et de bonnes communications sont nécessaires à la quête d’excellence au sein de toute organisation.
Il s’ensuit que la mission du Tribunal nous encourage à nous poser des questions importantes auxquelles nous devons répondre pour évaluer l’excellence : les audiences sont-elles rapides et respectueuses? Sont-elles équitables? Les décisions sont-elles opportunes? Sont-elles rédigées en termes simples?
Et plus important, est-ce que la procédure d’audience respecte les droits légaux des vétérans et leur permet-elle de bénéficier des prestations pour les invalidités liées au service?
Avant de parler des mesures que le Tribunal a mises en place pour répondre à ces questions, j’aimerais vous donner une idée de notre charge de travail.
L’an dernier, notre petit Tribunal de 20 membres (soutenu par environ 80 fonctionnaires) a traité 2 500 révisions et 800 appels pour les vétérans partout au pays.
Ainsi, environ 1 600 vétérans – près de la moitié de ceux qui ont venu chez nous – ont obtenu de la part du Tribunal de nouvelles prestations ou de prestations accrues pour les invalidités liées au service.
Bien que cela témoigne de la valeur d’un mécanisme d’appel indépendant, nous devons malgré tout nous demander si nous avons offert aux vétérans une procédure respectueuse, rapide et équitable.
Une façon de le découvrir consiste à leur demander leur avis sur l’audience.
En 2013, le Tribunal a établi un sondage de départ continu pour les demandeurs qui ont participé à une audience de révision.
L’audience de révision est très importante, en particulier dans notre contexte, car elle donne aux vétérans leur première et unique occasion de comparaître devant les décideurs et de raconter leur histoire.
Ce sondage nous a permis d’évaluer la satisfaction relativement aux audiences de révision grâce aux réponses à des questions sur le respect et l’équité.
L’an dernier, près de la moitié des 2 500 vétérans qui ont comparu dans le cadre d’une audience de révision ont rempli le sondage.
Je suis ravi de vous informer que la grande majorité d’entre eux ont eu une bonne expérience : 97 pour cent des répondants nous ont dit que les membres du Tribunal les avaient traités avec respect, et 91 pour cent ont déclaré que leur audience avait été tenue de manière équitable.
Le sondage donne également aux vétérans l’occasion de faire des suggestions pour améliorer l’expérience de l’audience, suggestions que nous utilisons pour orienter nos efforts pour aller de l’avant.
Un des éléments qui revient souvent, que ce soit dans le cadre du sondage ou de la part d’intervenants en général, est l’extrême importance d’audiences et de décisions rapides.
Et ce n’est pas surprenant lorsque vous considérez le fait qu’un vétéran a déjà obtenu une et parfois deux décisions concernant sa demande de prestation de la part du Ministère d’Anciens Combattants.
Afin de garantir un traitement rapide des demandes, le Tribunal a défini des normes de service pour le délai sur lequel il a une emprise.
Avant qu’un cas soit examiné, le vétéran et son représentant mettent du temps à obtenir des éléments de preuve additionnels et à préparer le dossier.
Ce n’est que lorsqu’ils nous disent qu’ils sont prêts pour l’audience que nous commençons à mesurer le délai.
Depuis le moment où ils sont prêts, notre objectif consiste à programmer l’audience, à examiner le dossier et à prendre une décision dans un délai de 16 semaines.
L’an dernier, nous avons respecté cette norme dans 96 pour cent des cas – dépassant ainsi de loin l’objectif de 80 pour cent que nous nous étions fixé.
Notre seconde norme de service cible entièrement les décisions, avec pour objectif de rendre 80 pour cent des décisions dans les 6 semaines après l’audience.
Là encore, nous avons dépassé notre objectif avec une décision rendue dans ce délai dans 86 pour cent des cas.
Pour réaliser cette excellente performance, le Tribunal avait défini des normes internes de service pour chaque étape du processus de l’audience et de décision.
Nous surveillons les cas de sorte que si une norme n’est pas respectée à une étape particulière, nous le déterminons rapidement et nous réglons le problème ou la complexité qui empêche le dossier de progresser.
Et, pour les cas où nous ne pouvons pas répondre à nos normes de service, nous en connaissons les raisons et nous nous concentrons sur ces cas afin de pouvoir rendre ces décisions pour les vétérans dans les plus brefs délais.
Bien sûr, lorsqu’il s’agit de rendre une décision, la rapidité n’est pas le seul élément important – nous devons également nous assurer que les décisions soient équitables et fournir les raisons de cette décision par écrit dans un langage simple.
Ce dernier point est particulièrement important : les vétérans doivent comprendre clairement la raison de la décision du comité.
S’ils ne comprennent pas les raisons d’une décision, leur confiance dans la procédure et leur perception de l’équité en sont affectées.
En outre, ceux qui consultent nos décisions en ligne doivent également être en mesure de comprendre la prise de décision du Tribunal et de lui accorder leur confiance.
Comme d’autres tribunaux, le Tribunal dispose de mesures pour appuyer la qualité des décisions rendues par ses membres.
À l’échelle des membres, ces mesures comprennent un processus de sélection axé sur le mérite, une formation juridique continue et des possibilités de perfectionnement professionnel, une rétroaction sur le rendement et des téléconférences mensuelles aux fins de discussion sur des approches communes.
À l’échelle de l’institution, ces mesures comprennent un examen de la qualité de toutes les décisions, un accès aux services juridiques, la désignation de décisions persuasives qui font jurisprudence, et d’autres outils favorisant l’uniformité.
Comme les décisions du Tribunal sont sujettes à révision par la Cour fédérale, nous surveillons et analysons également les résultats des décisions de révisions judiciaires et respectons les instructions données.
L’an dernier, la Cour a émis 10 révisions judiciaires, dont huit ont soutenu les décisions du Tribunal.
Bien que ces résultats soient encourageants et nous montrent que nos décisions respectent la loi, ils ne sont qu’un indicateur qui nous permet d’évaluer l’équité.
Nous examinons également nos propres décisions afin de déterminer pourquoi les membres d’un comité ont rendu une décision favorable alors que le Ministère ne l’avait pas fait.
Nous demandons à nos membres de classer les raisons en catégories : était-ce en raison du témoignage du vétéran? Est-ce qu’il y avait de nouvelles preuves médicales? Est-ce que une décision plus favourable aurait pu être accordé plus tôt?
Nous avons notamment constaté qu’un facteur dans la majorité des cas était de nouvelles preuves ou le témoignage du vétéran.
Nous communiquons ces raisons au Ministère pour qu’il puisse essayer d’améliorer les procédures initiales de demande et de prise de décision, afin que les vétérans obtiennent les prestations auxquelles ils ont droit dans les plus brefs délais.
Je n’ai pas encore parlé de la transparence, qui est essentielle à l’excellence des tribunaux.
Compte tenu du financement fédéral dont il bénéficie, le Tribunal a l’obligation générale de montrer aux Canadiens qu’il remplit son mandat à l’égard des vétérans.
Bien sûr, l’idée de la transparence sous-entend que les processus de prise de décision doivent généralement être ouverts à l’examen afin que le grand public puisse s’assurer qu’ils sont équitables.
Dans le contexte du Tribunal, cette transparence permet également aux vétérans de voir comment le Tribunal applique la loi dans des cas semblables au leur.
Comme je l’ai indiqué précédemment, nos décisions sont accessibles en ligne.
Depuis le 1er juillet 2015, toutes les décisions d’appel du Tribunal et la plupart des révisions ont été publiées sur le site Web de l’Institut canadien d’information juridique (CanLII).
Actuellement, nous avons publié plus de 2 600 décisions dépersonnalisées.
Je vous invite à visiter ce site et à lire certaines de ces décisions.
Lorsque vous le ferez, vous comprendrez que le Tribunal examine rarement des cas clairs, car ceux-là auront déjà été approuvés par le Ministère.
Au lieu de cela, nos cas impliquent des questions médicales et juridiques complexes avec un grand volume de données et d’éléments de preuve à prendre en considération.
Le plus grand défi pour le Tribunal à l’avenir consistera à gérer de manière efficace ces dossiers pour nos membres qui examinent des cas à 23 endroits répartis dans l’ensemble du pays.
En tirant avantage de la technologie, nous avons l’intention de peaufiner et de réviser nos procédures opérationnelles pour supprimer les dossiers papier, d’aider les membres à préparer les dossiers plus volumineux et de rendre des décisions encore plus rapidement.
Bien sûr, les tribunaux devront toujours trouver le juste équilibre entre le délai nécessaire pour rédiger des décisions de qualité et la pression pour rendre ces décisions rapidement.
Il s’agit d’un défi constant pour lequel il n’existe pas de solution simple, sauf celle de veiller à ce que les décideurs disposent des connaissances, des compétences, des outils et du soutien dont ils ont besoin dans leur important travail.
En résumé, un tribunal doit suivre les démarches suivantes pour réussir. Il faut :
- Comprendre et articuler son mandat;
- Utiliser des outils pour évaluer l’expérience de ceux et celles qui comparaissent devant lui;
- Comprendre les étapes importantes de son processus;
- Développer des normes objectives pour ces étapes importantes;
- Prendre ses décisions de façon transparente ;
- Évaluer régulièrement la qualité des motifs de ses décisions; et
- Être capable de faire rapport sur les motifs de ses décisions.
Voilà qui clôture mon intervention sur mon expérience au poste de président par intérim du tribunal administratif fédéral, sur les buts et les objectifs de rendement du Tribunal, et sur les défis et les possibilités pour l’avenir de la justice administrative.
Je serai heureux de répondre à vos questions.